L’auteur

Corse par son père et Réunionnais par sa mère, Jean-Dominique MAZZONI est né à Tananarive (Madagascar) en 1960. Il vit actuellement en Région Parisienne.

En 1992 le magazine belge de l'Étrange "MAGIE ROUGE" publie 2 de ses nouvelles : Crise cardiaque puis Intrigue et Folie.

Titulaire d'une Maitrise en économie et d'un Master en logistique, il a publié son mémoire de fin d’études sur le Net en 2006 : « Optimisation des flux. Théorie et pratique en entreprise ». Plusieurs articles spécialisés en achat industriel suivront.

"Le Chamane" est son premier roman.

 

« ...C’est une véritable claque que ce court roman dont la couverture illustre si bien le tumulte.

Une ode à la nature, à l’humanité des sentiments et à la certitude que certains se battront, à chaque génération, pour qu’elles perdurent. C’est aussi un retour culturel sur des épisodes de la mythologie qui trouvent encore des échos dans notre monde actuel... »

                      La chronique complète sur La Confrérie de l’imaginaire

 

 

Extrait (Chapitre 1)

 

Des milliers d’aiguilles transpercent les hautes cimes d’une forêt cotonneuse. C’est une pluie glacée qui n’a pas l’air de vouloir s’arrêter. Il ne fait pas bon mettre le nez dehors. La population animale l’a bien compris. Elle se protège du froid en se cachant dans les terriers aménagés. Les oiseaux se sont tus depuis longtemps; calfeutrés dans leurs nids douillets ils devraient pourtant chanter les louanges de la venue du jour.

Le ciel est lourd et pesant. Sa masse grisâtre s’étale à perte de vue, fendant l’horizon de ses veines électriques. Prisonnier de ce monde opaque, le soleil n’a plus la parole. Ses rayons sont paralysés par les caprices du temps. Dans la tourmente de la dépression annoncée par la météo, la nature a repris ses droits.

La pluie ne faiblit pas. Elle fouille scrupuleusement le sol, avide de la moindre souillure à nettoyer.

Les racines mortes mêlées aux branches touchées par la foudre  s’engouffrent dans les ruisseaux boueux.

La terre se débarrasse de ces impuretés.

Dame Nature n’en croit pas ses yeux. Son fils le plus majestueux brave les interdits. Il glisse toutes ailes déployées dans ces obscurs couloirs aériens où un seul éclair suffirait à le tuer. Mais il n’en a cure. Personne ne détournera de sa mission le messager des dieux.  Le garde forestier ne  l’a pas encore remarqué, il finit juste de soulager sa vessie trop pleine en maudissant ce temps épouvantable qui l’exaspère. C’est une sensation très agréable, un dernier jet mélodieux sonne le glas de sa récréation urinaire. En se retournant vers son 4x4 fétiche, il aperçoit au loin, dans cette purée de pois, un oiseau de grande taille décrire des arcs  de cercle.

Le contact est établi. Piqué par la curiosité, Brian remet rapidement sa voiture en marche.

Le garde forestier familier de leurs envolées majestueuses et parfois cruelles sait plus que quiconque qu’il n’est pas facile de  reconnaître ces rapaces. Voyons un peu. Ses ailes sont larges mais son vol n’est pas lourd. Il ne s’agit donc pas d’une « buse variable » carnivore, comme celles que l’on peut parfois observer dans nos campagnes.

Les petits rongeurs sont à l’abri. Ils ne seront pas capturés par les  serres aux lames de rasoirs, dans des cris aigus et jouissifs d’une victoire fatale que seul l’équilibre de la chaîne alimentaire peut encenser.

 

Perdu dans ses pensées Brian n’entend pas les plaintes de son vieux serviteur, ou plutôt refuse-t-il d’entendre le bruit des ses affreux cliquets mécaniques. Une révision s’impose. Un œil sur la route, un œil dans le ciel, le garde se rapproche de l’insolent qui parade là-haut en pleine mélasse. Le rapace brun  pourrait bien être un de ces vautours éboueurs importés récemment par l’équipe scientifique de la réserve.

 

Le vautour charognard, protégé par la loi, plane pendant des heures avant de dénicher une carcasse putride dont il se régalera.

Pourtant quelques détails font penser à Brian qu’il se trompe, le vautour vole en cercle dans l’unique but de prévenir ses compagnons de table. Or la danse endiablée de l’intrépide oiseau ne se contente pas de tournoyer, il s’amuse en solitaire, ce qui intrigue notre ami.

A quelle espèce appartient-il ? Impossible à savoir.

Tout simplement parce qu’il s’agit d’un aigle. Or aucun aigle n’a jamais été recensé dans la région, encore moins un aigle royal.

Le garde forestier fait taire ses questions. Une autre surprise l’attend.

Au-delà de la bouillasse et des nids de poule creusés dans le sol, les rayons jaunâtres de sa monture fatiguée éclairent maladroitement un véhicule garé sur le côté. Brian reconnaît la voiture d’Alice, une partisane frénétique du jogging matinal. Il s’arrête en bougonnant, c’est bien celle d’Alice.

Il faut quitter l’habitacle et prévenir la jeune femme des dangers de la foudre.

La portière claque. Quel temps de chien !

La pluie n’a pas cessé. Ses lourds sanglots s’écrasent sur la veste en cuir du garde forestier. Le ciel est de plus en plus noir. L’inconnu ailé a disparu, ce n’est pas bon signe.

Il faut s’occuper d’Alice. Brian s’engage sur le sentier. La terre est molle et se dérobe par endroits. Le garde forestier avance prudemment à sa rencontre.

 

Alice est en sueur. Résultat d’une bonne séance de  jogging menée tambour battant.

Revoilà le vieil arbre penché qu’elle a dépassé à l’aller. Plus que quelques mètres avant de retrouver le point de départ. C’est la délivrance. Elle peut enfin s’arrêter.

Le corps en avant, les mains sur les genoux, Alice vide l’air vicié de ses poumons en respirant bruyamment. Son corps endolori par l’effort lui fait prendre conscience du niveau de sa course.

Les aiguilles de sa montre lui apprennent qu’elle a mis moins de temps qu’hier.

Ses progrès sont spectaculaires. Elle est ravie, crevée mais ravie. Courir fait partie intégrante de sa vie, qu’il neige, pleuve ou vente, la jeune femme ne peut plus s’en passer,  à en dégoûter ses amis mais pas ses collègues de bureau qui apprécient la silhouette de leur collaboratrice. Alice le boute-en-train du bureau, heureuse de croquer la vie à pleines dents. Celle qui voit tout, entend tout et ne dit rien. Une beauté sauvage au corps athlétique, racée comme la plus noble des gazelles : l’Impala.

La jeune femme partage avec l’animal le goût pour la course. Compétitrice dans l’âme elle est capable de démarrer vite et fort ou de s’engager dans une course de fond à vive allure. Alice est une sportive accomplie. Pourtant elle en veut toujours plus. L’Impala ne lui dira pas le contraire. L’animal s’épuise dans de longs périples à plus de cinquante kilomètres à l’heure avant de terminer sa course au bord de l’asphyxie. Alice est dans le même état. Elle peine à reprendre son souffle. Elle le sait, elle en a trop fait et comme toujours n’a pas su ménager ses forces. Son cœur est sur le point d’exploser et ses jambes tremblent. La jeune sportive est plus vulnérable que jamais. Elle s’appuie sur un tronc d’arbre pour récupérer. Sa faiblesse momentanée en fait une cible idéale pour la prédatrice qui la suit depuis des jours

Protégée de tout regard indiscret par les arbres et d’épais bosquets la tueuse est aux aguets. Un tic lancinant déforme son visage. Ses yeux sont injectés de sang. Elle ressemble à une hyène en furie, ces animaux disgracieux et féroces qui font fuir les lions. C’est le bon moment pour agir. Elle le sent. C’est maintenant ou jamais. La tueuse bande ses muscles et sort un cutter de sa poche en salivant de plaisir. Pour une fois le destin lui donne un coup de pouce.

L’hideuse femelle sanguinaire jaillit des fourrés. Alice qui n’a pas encore retrouvé son souffle ne l’a pas aperçue. Pourtant  son cœur s’angoisse. Son instinct de gazelle est en ébullition. Le son d’une branche morte craque, soudainement, contraignant Alice à une brusque volte-face.

La jeune femme découvre son agresseur. La bête humaine a surgi devant elle, l’arme à la main. Elle n’a qu’une idée en tête. Un long cri strident de terreur envahit le sentier. Brian l’a entendu. Sans se poser de questions le grizzli se précipite. Epargnée par l’effet de surprise où elle aurait sans doute succombé à la férocité de la lame tranchante, la gazelle bondit sur le côté sans pouvoir désarçonner la prédatrice.

 

Emportée par son élan la hyène a néanmoins réussi à inciser le bras droit de la victime avant de l’entraîner dans sa chute. En maintenant le poignet de son adversaire, qu’elle pince de toutes ses forces, Alice voit enfin le cutter échapper de la main de sa propriétaire.

Futile victoire. La hyène est en train de mater la gueuse ! Elle s’est installée à califourchon sur sa victime, paralysant ainsi les nombreuses ruades de la gazelle qui se débat comme elle peut. Un étau se referme sur son cou pendant que l’haleine fétide de la redoutable chasseresse crache sa violence sur la pauvre bête en l’invectivant d’un prénom qu’elle a depuis longtemps oubliée. L’étau change de mains. Les lourdes pattes du grizzli se sont refermées sur la nuque de la hyène qu’il tire violement en arrière. L’empreinte d’un grizzli est généralement assortie de griffes affûtées. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de Brian. Surexcitée par l’enjeu la hyène n’en a cure. En mordant le poignet du garde qui a mal ajusté sa prise et en le frappant au bas ventre la hyène parvient à prendre la fuite en ricanant.

Alice  dont le pelage est maculé de taches boueuses réconforte son héros qui peine à se redresser. Se jouant  de son poids et de sa taille le grizzli peut atteindre soixante six kilomètres par heure à la course. Sans l’aide de Brian, Alice n’ose imaginer quelle aurait pu être  la suite des évènements.

Elle est encore toute chancelante. La sportive aguerrie a du mal à comprendre. Comment a-t-elle pu se faire agresser de la sorte ? Faire appel à sa mémoire lui donne mal au crâne. Le prénom que ce monstre lui a jeté à la figure fait ressurgir le passé. Fernand, rencontré dans une boîte de nuit provinciale. Un grand gars aux yeux clairs, timide de nature, un tantinet maladroit et doté d’un humour décapant. Fernand, collé à sa partenaire comme de la glue, avec ses grandes mains baladeuses que la jeune femme a repoussées tant bien que mal. Alice n’a pas apprécie mais elle est tombée sous le charme du sourire enjôleur et des compliments de son partenaire. De verre en verre les fous rires ont fusés. Alice a décidé de s’éclater. Elle fêtait son diplôme d’animatrice sportive qui devait transformer sa vie et lui faire oublier son emploi de secrétaire. La soirée battait son plein et la situation de nos deux tourtereaux s’est encanaillée. Une aventure d’un soir. Au grand dam de Fernand qui ne l’a pas raccompagnée. La plus grosse bêtise d’Alice a été de lui donner son numéro de portable. Fernand s’est accroché, entêté, a harcelé. Il a vu en elle la femme de sa vie, a supplié puis menacé. Alice n’aime pas le chantage. Elle a coupé les ponts avec pertes et fracas. Fernand n’en dormait plus, but de plus en plus et a missionné sa sœur. Alice serait à lui où à personne. Germaine la grande sœur a élevé son petit frère comme son propre fils. La lutteuse au physique ingrat ne supporte pas qu’on lui fasse du mal. Alors pour guérir son frangin elle doit se débarrasser de cette abominable petite peste qui se prend pour une reine. La reine des allumeuses, oui ! La pluie s’est tue mais la grisaille perdure. Brian ramène Alice en la réconfortant du mieux qu’il peut mais elle est ailleurs. La jeune femme a très vite fait le rapprochement avec Fernand. Sa prédatrice a évidemment un air de famille. Trop jeune pour être sa mère, serait-ce une sœur, ou une cousine ? Ce menteur de Fernand qui est soi-disant orphelin, seul au monde, ben voyons ! Peu lui importe, elle est mal en point mais vivante. La scène a eu un autre témoin. Un inconnu ailé perché sur le plus haut des arbres. Un animal qui ne fera plus de signe à Brian. Un aigle mystique qui peut enfin rentrer sur ses terres, les terres étranges et lointaines du monde ésotérique des chamanes.

 

 

LE CHAMANE

Un roman de JEAN DOMINIQUE MAZZONI

Les Éditions de La Frémillerie

Sur la couverture du roman une reproduction de :

SANS SOUPIR

peinture à l'huile sur toile en coton de

J.P. REMBLIERE

2001

ISBN:978-2-35907-005-7

11,5 x 18,5 cm

120 pages

10 €

LF

Extraits sur: